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DU PAIN ET DES JEUX

Fathi BELAIBA, avocat à la Cour de Cassation

Fin observateur de la société romaine du temps des empereurs Domitien et Hadrien, le poète JUVENAL, a souligné la déliquescence des romains par une formule ramassée : « du pain et des jeux » ; c’était là le moyen de gouverner avec assurance le peuple, en lui fournissant les aliments et les distractions.

La révolution tunisienne, qui trouva son apogée le 14 janvier 2011, lorsque le président BEN ALI quitta le pays et le pouvoir dans des circonstances obscures, a été la révolution de la dignité et de la liberté avant d’être celle du pain. Le peuple tunisien a fait montre d’une maturité insoupçonnée jusque là, en conduisant sa révolution comme un seul homme, sans théoriciens ni prophètes, malgré les structures de la répression en place, relayée par une justice aux ordres.

La justice, du temps de Ben Ali nous avait habitués à des spectacles assez dérisoires. Dans la grande majorité des procès sensibles, soit à consonance politique, soit relatifs aux intérêts de la famille du président, la justice était souvent une parodie: seuls quelques magistrats que nous connaissons tous, sauvaient l’honneur. Les droits de la défense étaient, sur ordre ou par réflexe, bafoués. Et si jamais la défense, représentée par les avocats des accusés osait se révolter, la sanction tombait immanquablement. C’est ainsi qu’on a pu assister à des procès où les avocats, juridiquement fragiles car sans immunité légale dans l’exercice de leurs fonctions, étaient arrêtés en pleine audience, pour subir ensuite les foudres du pouvoir.

Bref, le palais de justice, dans ce type de procès, prenait des allures d’arène où le pouvoir fournissait à la foule ses jeux de cirque, à la fois pour l’amuser et lui signifier ses limites.

Ce que l’on espérait ardemment au lendemain de la révolution et que l’on espère encore avec la même ardeur, c’est que cessent les jeux du cirque.

BEN ALI doit être poursuivi pour ses forfaits vis-à-vis du peuple, et pour le tort qu’il avait porté à la justice en l’instrumentalisant et en marginalisant –juridiquement– le corps des avocats, opposants par nature et par vocation à tout pouvoir abusif. Cependant, de telles poursuites doivent s’exercer non pas pour satisfaire le peuple, mais dans un esprit salvateur de justice, dans le respect le plus strict des droits de la défense.

En refusant, à la demande du ministère public le report d’audience sollicité hier par les avocats de la défense, notre justice ne sort pas grandie : observée avec attention par le monde entier, elle donne l’impression d’être pressée de juger et d’en finir. Elle utilise aujourd’hui contre l’ex-président Ben Ali les moyens qu’elle utilisait avec constance en faveur de son pouvoir et en faveur des siens. Les avocats de la défense, dépourvus de tout autre moyen de réaction immédiat, ont, hier, reproduit le seul schéma possible de protestation en cas d’atteinte grave des droits de la défense et ce, en décidant de se retirer.

Par ailleurs, Ben Ali, chef suprême des armées, est-il sérieusement passible de poursuites pour port d’armes prohibées ? La justice ne se décrédibilise-elle pas, aux yeux du peuple tunisien et au regard du monde qui nous observe en poursuivant l’ex-président pour ce chef d’accusation alors que des chefs d’accusation extrêmement graves et sérieux, comme le meurtre de manifestants auraient suffi au bonheur du peuple et des esprits épris de justice ?

Bref, encore aujourd’hui, l’état des lieux de notre justice n’est pas –encore– brillant. Il est vrai que cet état des lieux est indissociablement lié à son état d’esprit : la controverse suscitée par certains magistrats sur la nouvelle loi organisant la profession d’avocat le prouve, changer d’état d’esprit n’est pas une mince affaire ! A quand une nouvelle justice, débarrassée de ses carcans, indépendante à la fois du pouvoir et des courants d’opinion ? Demain, peut-être, à la faveur des réformes qui s’annoncent? Qui vivra verra.

ARTICLE ECRIT EN 2011 : Entre temps aucun changement fondamental n’a eu lieu. L’état d’esprit politique et moral est inchangé et la grande désaffection par rapport à la vie politique chose politique se confirme. Le dernier député élu par les tunisiens résidant en Allemagne l’été avec un peu plus de 200 votants. Sans autre commentaire !


LA RESPONSABILITE DU BANQUIER FOURNISSEUR DE CREDIT

PARU SUR LE JOURNAL LA PRESSE LE 22 juin 2016

Le banquier est un homme à part. Considéré par certains comme un administrateur d’un service public, la banque,  sans laquelle aucune économie libérale ne peut être conçue, sur la plan du droit il est en proie à des tiraillements contraires, qui peuvent donner la juste impression qu’il est souvent l’objet de tirs croisés. C’est ainsi qu’il peut être tenu responsable de soutien abusif du client en acceptant de le financer dans certaines conditions comme il peut être tenu responsable  de rupture  abusive de crédit en suspendant le financement dans d’autres conditions.

Cela implique-t-il pour autant que tout financement ou toute rupture de financement par le banquier l’expose de facto à l’une ou l’autre responsabilité et qu’il se trouve ainsi constamment menacé ?

Ce n’est pas le cas.

Dans cette chronique de droit bancaire, nous examinerons l’un après l’autre les deux volets sus énoncés : la rupture abusive du crédit et le soutien abusif du client.

PREMIÈRE PARTIE : LA RUPTURE ABUSIVE DE CRÉDIT

Le banquier est un agent économique à nul autre semblable : il est le partenaire obligé de la plupart des projets économiques. Une partie de la doctrine en a conclu qu’il gère un véritable service public au sens commun de l’expression. Ce rôle lui impose une véritable obligation de prudence, vis-à-vis de son client certes mais aussi par rapport aux créanciers de ce dernier  qui, faut-il le souligner, sont des tiers par rapport au banquier ;  à ce titre, sauf fraude avérée, ils  ne devraient pas être concernés par la relation de leur client avec la banque.

Le banquier se trouve ainsi soumis à une double contrainte : d’une part, celle, classique, de veiller à la prospérité de sa banque et lui faire réaliser des bénéfices, ce qui est la raison d’être de toute entreprise commerciale ; d’autre part, celle de veiller à ce que ses choix ne soient pas porteurs de préjudices à son  client et à ses créanciers.

Qu’est ce que la rupture abusive de crédit ? Quand est-ce qu’un arrêt de crédit peut être abusif ?

NOTION DE RUPTURE ABUSIVE DE CRÉDIT

Il y a rupture abusive du crédit quand le banquier décide du jour au lendemain de stopper son concours financier à son client. Cette décision trouve souvent sa motivation dans la « découverte » par le banquier de difficultés économiques de l’entreprise qu’il finance. Les conséquences ne tardent pas à se produire : l’entreprise, présumée en difficulté, n’est pas sure de trouver d’autres sources de financement et si elle en trouve, ce sera avec des conditions pénalisantes, eu égard à la situation d’urgence dans laquelle elle sollicite les nouveaux crédits.

Pour  qualifier la rupture de crédit d’abusive, l’arrêt soudain de ce crédit ne suffit cependant pas.

D’autres conditions doivent être réunies :

• Le concours du banquier doit être à durée indéterminée.

• La situation de l’entreprise ne doit pas être irrémédiablement compromise.

La condition  relative à la durée indéterminée du concours du banquier implique que ce concours bénéficie d’une certaine stabilité dans le temps et qu’il ait été répétitif, de façon à créer une attente légitime de soutien chez le client: un concours occasionnel,  même portant sur des sommes relativement élevées ne peut faire naître sur le banquier une obligation automatique de poursuivre le financement.La seconde condition est que  la situation de l’entreprise ne doit pas être irrémédiablement compromise : c’est là une condition majeure, qui impose au banquier de s’abstenir de tout financement dès lors que la situation de l’entreprise est économiquement désespérée. En effet, un banquier qui assiste financièrement une entreprise aux abois ou qui continue son assistance, peut contribuer à donner à ses créanciers actuels et futurs de fausses idées sur sa santé économique et les inciter à poursuivre ou à engager des opérations avec elle, ce qui peut les compromettre gravement. Dans ce cas, le banquier assume un véritable devoir de rupture de crédit.

Qu’en est-il du devoir de rupture de crédit quand le financement a été prévu contractuellement avant toute apparition de signes pathologiques ?

L’article 243 du Code des Obligations et des Contrats dispose que tout engagement doit être exécuté de bonne foi et oblige non seulement à ce qui y est exprimé mais aussi à toutes les suites que la loi, l’usage ou l’équité donnent à l’obligation d’après sa nature.  Lorsque la situation de l’entreprise est manifestement compromise, le banquier ne peut être de bonne foi s’il continue à soutenir l’entreprise en grave  difficulté. Pour éviter d’aggraver la situation, il doit suspendre son concours immédiatement. S’il avait conclu avec le client un accord de financement, cet accord cesse de produire ses effets. La poursuite de cet accord est, en effet, de nature à entraîner non plus le bénéfice prévu à l’origine mais un préjudice d’autant plus grave qu’il risque de s’étendre aux créanciers de l’entreprise : les conditions ne sont plus réunies pour que l’obligation de financement continue à être exécutée de bonne foi comme l’impose l’article 243 du Code des obligations et des contrats. La situation de l’entreprise justifie l’extinction de l’engagement du banquier et ce, en vertu de l’article 345 du Code des Obligations et des Contrats qui dispose que l’obligation s’éteint lorsque,  depuis qu’elle est née, la prestation qui en fait l’objet est devenue impossible naturellement ou juridiquement, sans le fait ou la faute du débiteur.

Qu’est ce qu’une situation irrémédiablement compromise ?

Il s’agit d’un état de fait, dont les caractéristiques ont été dégagées peu à peu par la jurisprudence française.

Ainsi, une situation dégradée ne correspond pas nécessairement à une situation irrémédiablement compromise : l’insuffisance de trésorerie, la cessation de paiements n’indiquent pas toujours  cette situation.  A l’inverse, même s’il n’y pas cessation de paiement, par exemple lorsque  les paiements sont assurés par des prêts ou la vente d’actifs, la situation de l’entreprise peut être irrémédiablement compromise (Cf. Cour d’appel de Versailles 22 avril 2003).

La situation de l’entreprise est considérée comme irrémédiablement compromise, quand la continuité de l’exploitation est devenue impossible et cela de manière irréversible. Il  a été ainsi jugé que l’entreprise sans aucun actif ni commandes certaines est dans une situation désespérée, qui s’oppose à tout concours financier du banquier  sous peine de l’exposer une responsabilité à la mesure du préjudice causé aux créanciers par le maintien artificiellement en vie de l’entreprise (Cassation commerciale française 18 janvier 1994).

Par contre, la banque n’a  pas été  reconnue responsable de soutien abusif lorsqu’elle a apporté son concours à une entreprise avant le démarrage de toute activité (Cassation commerciale 22 mars 2005). Dans cette décision, la Cour de cassation française relève que la circonstance que le crédit de trésorerie ait été accordé à une entreprise avant toute activité d’achat et de revente de produits n’est pas de nature à lui seul à caractériser un comportement fautif de la banque ».

N’est  pas non plus responsable la banque qui apporte son concours à une entreprise en situation de redressement bénéficiant de mesures d’assainissements tels que le changement de dirigeants et d’actionnariat, alors même que la procédure de redressement se clôture sur un échec. Gageons cependant qu’aucune banque tunisienne sérieuse n’apportera son concours à une entreprise impliquée dans une procédure de redressement.

A partir de quel moment la banque est-elle présumée connaître  la situation irrémédiablement compromise de son client et  doit arrêter en conséquence tout concours financier ?

Les situations sont diverses :

1/ Tout d’abord, il est de plus en plus admis que le banquier qui consent un crédit, doit dans la mesure du possible contrôler l’affectation de ce crédit : à titre d’exemple, un crédit consenti pour l’achat du siège social doit être affecté à cet achat.

Le Banquier est tenu de contrôler l’usage  qui est fait du crédit : s’en désintéresser est signe d’irresponsabilité, vis-à-vis de la banque certes, mais aussi vis-à-vis du client et de ses créanciers.Le Banquier est ainsi tenu d’arrêter son concours, s’il s’avère que son client utilise manifestement  les fonds octroyés à des fins autres que celles prévues.

2/ Le banquier peut se voir impliqué même s’il ne connaît pas réellement  la situation irrémédiablement compromise de son client : pour engager cette responsabilité, il suffit de prouver qu’il pouvait raisonnablement connaître cette situation mais qu’il a manqué à ses obligations de diligence et de prudence (Cassation commerciale française 24 septembre 2003).

Ces deux obligations de prudence et de diligence imposent en effet au banquier de ne pas consentir de crédits avant d’étudier les mouvements de compte et, de façon plus générale, la situation économique de l’entreprise, sur la base notamment de ses bilans et états financiers, dans la mesure où ils ne présentent pas d’irrégularité évidente.

Qu’en est-il lorsque  la situation de l’entreprise est devenue irrémédiablement compromise après l’octroi du crédit ?

La responsabilité du banquier doit être appréciée au moment de l’octroi du crédit. Mais un crédit octroyé dans des conditions normales n’a pas à être confirmé par d’autres crédits dès lors que l’entreprise atteint une situation économiquement désespérée. A défaut le banquier engage sa responsabilité.

Cette responsabilité (conditions de mise en œuvre et conséquences) fera l’objet de développements mercredi prochain.

Fathi BELAIBA avocat près la Cour de Cassation 

LA RESPONSABILITE DU BANQUIER

POUR RUPTURE ABUSIVE DE CREDIT (PARTIE II)

Dans notre article précédent nous avons dégagé, en la simplifiant la notion de rupture abusive de crédit (LA PRESSE du 22 juin 2016). Nous avons conclu que le banquier assume un véritable devoir de rupture dès lors que l’entreprise est en situation économiquement désespérée. Si par contre le Banquier rompt le contrat de financement de façon abusive, il assume envers le client une véritable responsabilité.

Qu’est ce que la responsabilité ?

Qui peut la mettre en œuvre ?

Dans quelles conditions?

La responsabilité est selon G. Cornu « en un sens générique (qui englobe la responsabilité délictuelle et la responsabilité contractuelle), toute obligation de répondre civilement du dommage que l’on a causé à autrui, c’est-à-dire de le réparer en nature ou par équivalent »

Le banquier est lié avec le client par un contrat (de compte dépôt, de compte courant, de financement …). Considéré à juste titre comme la partie puissante dans le contrat, détenant en outre un savoir et un savoir faire, qui le plus souvent font défaut au client, il est tenu envers ce dernier de véritables obligations. Nous avons évoqué précédemment sur ces colonnes les obligations d’information, de conseil et de mise en garde du banquier (LA PRESSE du 8 juin 2016 et du 15 juin 2016). A côté de ces obligations, dont la plus typique est le devoir de mise en garde, il  en existe d’autres, notamment le devoir de loyauté.

Le devoir de loyauté correspond à l’obligation de tout cocontractant d’agir avec bonne foi et sincérité. Ce devoir existe en réalité avant la formation du contrat, pendant la période précontractuelle, dès l’entrée en relation des futurs cocontractants ; il se fonde alors sur l’article 82 du Code des obligations et des contrats correspondant à l’article 1382 du Code civil français : au moment de la formation du contrat, les parties doivent se situer dans une démarche de bonne foi, qui exclut toute idée de tromperie voire de lésion. Sur la base de  ce principe, la Chambre commerciale de la Cour de cassation française a jugé que « la rupture des pourparlers  étendus sur un temps très long et ayant occasionné de nombreuses études et qui ne tenait aucunement au résultat des dites études se trouvait dépourvue de motif légitime » et engageait la responsabilité de ses auteurs (arrêt 95-20361 du 7 avril 1998).

Lorsque le contrat est formé, son exécution doit se faire avec bonne foi (article 243 du C.O.C.). A défaut, en cas de préjudice, la partie lésée a la possibilité d’engager la responsabilité contractuelle de son cocontractant pour l’obliger à réparer le préjudice qu’elle a causé.

Le principe de bonne foi et de loyauté est universel et existe aussi bien dans les droits d’inspiration romaine (droits français, belge, italien, suisse …) que dans les autres systèmes de droit comme le droit allemand.

Du fait de sa situation privilégiée due à sa position de pourvoyeur de fonds, et de son devoir d’assistance mais aussi de sa capacité de nuisance, le banquier assume par rapport à son client une obligation de bonne foi et de loyauté renforcée.

Le manquement à cette obligation est de nature à entraîner sa responsabilité vis-à-vis du client certes, mais aussi envers les créanciers de ce dernier. Dans le premier cas, elle est basée sur les principes de la responsabilité contractuelle. Dans le second, elle se fonde sur le droit de la responsabilité délictuelle, car il n’existe pas de contrat entre le banquier et les créanciers de son client.

Conformément au droit commun, pour être mise en œuvre, cette responsabilité suppose l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Première condition : la faute du banquier

Dans notre article paru sur ces colonnes le 22 juin 2016, nous avons dégagé la notion de rupture abusive. Pour rappel, une rupture de financement est abusive dès lors que la banque décide de suspendre unilatéralement un financement qui procède d’un accord écrit ou tacite. Si la notion d’accord écrit ne soulève aucune difficulté car il résulte d’un document signé par les parties,  l’accord tacite peut être déduit de l’historique de la relation client/banque: si les financements ont été répétitifs ou réguliers, il y a en faveur du client une présomption d’accord. Si le banquier conteste l’existence de cet accord, il lui appartiendra de prouver ses dires par tous moyens.

Cependant, cette règle doit être nuancée: même s’il existe un accord préalable (exprès ou tacite), la banque est tenue de suspendre son financement dès lors que la situation économique de l’entreprise est irrémédiablement compromise. Par ailleurs, une entreprise en difficulté n’est pas nécessairement dans une situation désespérée. Certains auteurs estiment à raison qu’une entreprise en état de redressement judicaire n’est pas dans une situation économiquement désespérée : la banque liée par un accord de financement avec cette entreprise se doit de respecter cet accord.

En outre il a été établi que le comportement de l’entreprise, s’il démontre une certaine irresponsabilité, peut provoquer une perte de confiance justifiant la rupture du crédit: c’est le cas lorsque le bilan remis à la banque est inexact, ou encore lorsque les sûretés promises en garantie du crédit ne sont pas fournies. Dans ce cas, la rupture de crédit est justifiée.

Pour qu’il n’y ait pas faute de la banque, il ne suffit cependant pas que le crédit ait été  temporaire ou que la situation de l’entreprise ait été désespérée. La banque qui entend suspendre son concours se doit d’informer le client de sa décision. L’information est dans ce cas relative à une décision prise et le plus souvent entrée en vigueur: il ne peut s’agir d’un préavis pendant lequel la banque continuerait (fautivement) ses soutiens financiers.

Deuxième condition : l’existence d’un préjudice

La responsabilité du banquier ne peut être retenue que dans la mesure où elle a causé à l’entreprise cliente de la banque un préjudice avéré.

Pour l’entreprise, ce préjudice peut correspondre au manque à gagner suite la suspension  de ses engagements par rapport à ses clients, notamment pour difficultés de trésorerie. Il peut s’agir de la perte d’un marché.  Dans un cas extrême, l’entreprise peut être acculée à cesser ses paiements et s’exposer à une procédure collective telle que le redressement ou la liquidation judiciaires.

Les créanciers de l’entreprise, en cas de suspension abusive de crédit, sont des victimes indirectes : leur préjudice est soit un simple manque à gagner, suite à l’arrêt des prestations du client de la banque, soit une perte, quand le créancier s’est financièrement engagé dans des opérations arrêtées suite à la rupture de crédit. Le créancier peut également se voir privé d’un paiement faute de financement par la banque.

Ces créanciers sont par conséquent recevables à agir en justice, pour demander réparation au préjudice subi du fait de la rupture abusive de crédit: n’étant pas partie à l’accord de financement conclu entre leur débiteur et la banque, ils disposent des instruments juridiques de la responsabilité délictuelle pour agir et, éventuellement, obtenir gain de cause.

Troisième condition: le lien de causalité entre la faute et le préjudice

La relation entre le faute du banquier et le préjudice subi ou le recours obligé à l’expert

Par application des principes généraux de la responsabilité civile, un lien de causalité entre  la faute du banquier et le préjudice subi doit être mis en évidence. Cela n’est pas sans poser certaines difficultés. Comment établir la relation entre les difficultés de l’entreprise et la cessation des concours bancaires. Dans quelle mesure, surtout, la rupture du crédit a provoqué le préjudice. N’y-a-t-il pas d’autres factures qui ont également conduit à ces difficultés. Les créanciers ne sont-ils pas responsables par leurs agissements des déconvenues de l’entreprise ? Dans quelle mesure ?

Il est en effet bien difficile d’établir le lien de causalité entre la faute et le préjudice. En pratique, la question sera résolue par un ou, rarement, plusieurs experts qui seront nommés par le tribunal. Même si la loi dispose que les conclusions de l’expert ne lient pas le tribunal, il faut ici se rendre à l’évidence : s’agissant de questions techniques, très souvent complexes, les conclusions de l’expert conditionneront le sort qui sera réservé à l’action en responsabilité. De la compétence de ce dernier et de son implication dépendra l’issue du litige.

L’entreprise cliente de la banque est recevable à demander en plus de la réparation des pertes qui résultent directement de la rupture de crédit, le manque à gagner et ce conformément aux dispositions des articles 277 et 278 du Code des obligations et des contrats. Les créanciers de l’entreprise réclameront les pertes subies, les dépenses nécessaires pour réparer les suites de l’acte préjudiciable (la rupture du crédit) et le manque à gagner, selon l’article 107 dudit Code: en d’autres termes, aussi bien en matière de responsabilité contractuelle (par rapport à l’entreprise cliente de la banque), qu’en matière de responsabilité délictuelle (par rapport aux créanciers de l’entreprise), la banque si elle est reconnue responsable, sera condamnée à indemniser la totalité du préjudice causé directement par sa faute. Dans les deux cas de responsabilité, les tribunaux seront appelés à faire preuve de plus de sévérité si la rupture du crédit est faite de mauvaise foi. Il résulte des articles précités du Code que le tribunal a latitude pour évaluer le dédommagement plus sévèrement en cas de mauvaise foi du banquier.

Cette mauvaise foi peut être établie par tout moyen. En principe, l’étude par l’expert des documents présentés à l’appui par le(s) requérant(s), et des conditions dans lesquelles s’est opérée la rupture de financement devraient suffire pour établir la bonne ou la mauvaise foi du banquier. C’est là une mission d’autant plus lourde pour l’expert que le droit bancaire est complexe, et que, dans un petit pays comme le nôtre, le risque de complaisance n’est pas toujours maitrisé dans les hautes sphères de la finance.

Fathi BELAIBA